Cela n’a échappé à personne, l’influence de la Direction de Systèmes d’Information s’amenuise un peu plus chaque année, et ça n’est pas une bonne nouvelle. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’évolution du marché du décisionnel.
Par Sébastien Pancher, Architecte Produit, Calame Software
Il n’y a pas si longtemps, chaque direction métier gérait ses propres processus et ses propres outils. La collecte des données, leur stockage, leur analyse, leur partage… Tout cela relevait principalement de la bureautique, chacun s’organisait au mieux sans nécessairement regarder ce que faisait le service voisin. Où étaient les données de l’organisation ? Un peu partout. Comment étaient-elles organisées ? Vaste question… C’est de cette incertitude initiale qu’était née la Business Intelligence et avec elle devait s’ouvrir une nouvelle ère, dont les maîtres-mots seraient « Performance », « Urbanisation » et « Conformité ». Malheureusement, l’histoire ne s’est pas déroulée comme prévu.
– Le Big-Bang des années 90 avait propulsé le DSI au rang de Grand Architecte de l’organisation numérique. Concentrant entre ses mains la plupart des données métier, il s’était donné pour mission de les organiser et de les rendre accessibles de la façon la plus rationnelle : ERP unique, référentiel unique et outil d’analyse et de restitution uniques devaient irriguer l’ensemble des services en données. Ces données, que les fonctionnels géraient auparavant avec Excel, seraient dorénavant prises en charge et valorisées au sein du système d’information central. Elles seraient donc parfaitement à jour et totalement transparentes quant à leur origine. Evidemment, cette industrialisation des processus avait une fâcheuse tendance à obliger les fonctionnels à revoir en profondeur leurs processus métier pour les rendre assimilables par les outils, mais ce que les fonctionnels perdaient en autonomie devait être largement compensé par des gains de performance, de conformité et de sécurité, sans compter le formidable retour sur investissement que l’on pouvait légitimement attendre d’un si petit nombre d’outils aussi largement diffusés.
– Ces espoirs firent long feu. Il ne fallu que quelques années pour que l’enthousiasme initial refroidisse : alors que de nombreux projets de BI « Groupe » échouaient, les années 2000 virent l’émergence des solutions de « Rapid BI ». Simples à prendre en main, peu coûteuses, elles permirent aux directions fonctionnelles de regagner l’autonomie qu’elles avaient perdu. Toutefois, le DSI demeurait incontournable pour intégrer ces nouveaux produits à l’infrastructure de l’organisation…
– …Avant que son périmètre ne se réduise à nouveau : en quelques années les solutions SaaS ou Cloud se sont répandues, permettant à n’importe quel utilisateur d’avoir accès à une application, sans aucune contrainte technique. Dès lors, chaque direction pouvait à nouveau produire et gérer ses propres données sans la moindre contrainte, et le DSI n’avait plus guère de levier pour agir. Dépossédé de ses prérogatives, cerné d’utilisateurs qui se passent de ses services, il doit désormais lutter à chaque comité de direction pour conserver son budget, et sa capacité d’action.
Hors, c’est justement aujourd’hui que le DSI est le plus nécessaire. Car si les fonctionnels perçoivent comme un progrès cette totale liberté, en réalité la situation est revenue au stade de l’époque pré-BI : chaque service fait ce qu’il veut, sans tellement se soucier de ce que font les autres. Comment assurer la cohérence et l’intégrité des données au niveau de l’organisation quand chaque service peut ainsi créer son propre référentiel ? Le problème se pose aujourd’hui plus crûment que jamais, et seul le DSI possède la vision transversale de tous ces flux, lui seul peut opérer une urbanisation des systèmes, et ainsi garantir la pérennité du patrimoine que représentent les données de l’organisation. Encore lui faut-il les outils, conceptuels et techniques, lui permettant d’appréhender ce patrimoine hérité des projets métiers.
Ces outils sont sur le point d’émerger. Cette tendance de fond, qui pousse les utilisateurs à créer par eux-mêmes leurs propres projets sans l’accord du DSI porte un nom : le Shadow IT. Pour les sociologues et pour les DSI Américains, le Shadow IT est un sujet d’étude depuis une dizaine d’années et l’Europe commence à s’y intéresser. Deux études y ont récemment été publiées :
– L’une d’elle1 réalisée dans le cadre d’un mémoire pour HEC, analyse le phénomène en dépouillant les résultats d’une enquête réalisée en 2012 auprès de 129 managers en systèmes d’information. Elle analyse les usages et définit un indicateur, une mesure du taux de Shadow IT présent dans l’organisation puis tâche de le corréler à l’attitude du DSI envers les utilisateurs. L’enseignement principal que l’on peut en retirer, c’est que les usages des fonctionnels sont très classiques : oui, le BYOD existe, oui certains utilisateurs téléchargent la version gratuite de Qlickview… Mais la majorité du Shadow IT opère sur un outil que nous connaissons tous : Excel ! D’autre part, l’étude montre que plus le DSI se montre pro-actif envers les utilisateurs métiers, plus il anticipe leurs besoins, mieux il peut les outiller et moins ils seront tentés de construire leurs propres applications bureautiques.
– L’autre étude, réalisée par des chercheurs de l’université de Constance2 contient deux apports intéressants :
– Tout d’abord, elle tente de formuler une définition scientifique – et donc objective – du Shadow IT, ce qui est fondamental pour un sujet dont le potentiel polémique est aussi important.
– Mais surtout, elle propose une qualification du Shadow IT, notamment au travers de sa qualité : le Shadow IT pouvant être vu comme un risque pour l’organisation… Mais également comme une source d’innovation.
Ces travaux de recherche constituent un excellent éclairage de l’histoire du décisionnel : si tant de projet de BI sont des échecs, combien sont rejetés car les utilisateurs ont eu l’impression que ce qu’ils y gagnaient ne compensait pas ce qu’ils perdaient par rapport à leur « application » Excel : l’autonomie, la réactivité, la capacité arithmétique ? Sous cet angle, le Shadow IT représente non seulement une concurrence envers le DSI mais également une dépréciation d’actif : le décisionnel qu’il était prévu d’étendre à tous les services se retrouve isolé : que devient le ROI attendu ?
Surtout, ces travaux mettent en avant le principal point de discorde : la compétence métier. C’est l’argument le plus fréquemment cité par les utilisateurs lorsqu’il leur est demandé d’expliquer pourquoi, alors que la maintenance des applications Excel leur semble si lourde, ils ne se tournent pas vers le DSI : c’est qu’ils ont pu « descendre » dans leurs tableurs tout leur processus métier, sans restriction, et que leurs correspondants à la DSI n’ont pas le même niveau de compétence métier. Comment leur donner tort ?
En conclusion, ces études pourraient bien contenir en germe les nouveaux défis du DSI :
– Comment outiller les métiers, dont les besoins sont potentiellement tous différents, sans multiplier les outils, et sans renoncer au décisionnel existant ?
– Comment le DSI peut-il rapatrier tous les processus et données métier dans le giron du système d’information sans détruire l’investissement fonctionnel, sans plus recourir à Excel et sans acquérir toutes les compétences métier ?
Aujourd’hui, une réponse technique existe. Une réponse fonctionnellement transversale et techniquement agnostique : Gathering Tools.
1http://chejfec.com/2012/12/18/resultats-complets-de-lenquete-shadow-it/
2 http://www.thinkmind.org/index.php?view=article&articleid=icds_2012_5_10_10097
Avril 2013